Rien ne nous fait aussi bien ressentir la présence de l’autre que son contact. Nous sommes équipés pour cela de fibres nerveuses sensibles à la charge émotionnelle du toucher. Des capteurs à la base de notre socialité.
LYDIA DENWORTH| 20 janvier 2016| CERVEAU & PSYCHO N° 74| 8MN
Avant de parler ou même de distinguer clairement son environnement, le bébé sent par la peau la présence et l’émotion de ses parents. Son sens du toucher est déjà pratiquement mature.Shutterstock.com/Simon Dannhauer
Aujourd’hui, mes trois garçons sont presque devenus des ados. Quoi de plus normal si je commence à oublier certains détails de leurs premières années ? Mais il y a une chose que je me rappellerai toujours, ce sont ces minutes qui ont suivi leur naissance, quand je les ai serrés contre ma poitrine, que je leur ai caressé doucement le dos, que j’ai embrassé délicatement le sommet de leur petite tête. Cet instant où nous sommes restés là, tranquilles, ensemble…
Des sensations peau contre peau, inoubliables. Le sens du toucher est tellement important pour faire jaillir les émotions que l’on ressent dans de pareils moments ! À tel point que les bébés élevés dans des orphelinats avaient naguère une mortalité plus élevée, faute de caresses. Qui douterait que les premiers contacts avec nos enfants, suivis par des années de câlins et d’étreintes, renforcent les liens étroits qui nous unissent ?
En 1973, la théorie de l’attachement proposée par le psychiatre britannique John Bowlby (1907-1990) expliquait qu’un enfant grandissait de façon « sécure » s’il était bien entouré et câliné ; plus tard, on associa l’ocytocine, une hormone cérébrale libérée par l’hypothalamus pendant et après la grossesse, à l’amour maternel puis à l’attachement au sens large. Mais ces théories, aussi marquantes qu’elles fussent, n’éclairaient pas le pouvoir émotionnel du toucher. Finalement, elles ne nous disaient pas ce qui se passait au fond de nos cellules quand nous frémissons au contact d’une caresse. Longtemps, les neuroscientifiques n’ont pas fait mieux : pour eux, le toucher était surtout remarquable par son pouvoir de discrimination, cette capacité à distinguer les textures (la peau d’un bébé, une surface de tissu) et les températures (bébé a-t-il de la fièvre ?). Ses aspects « émotionnels » étaient nécessairement secondaires, arrivant une fois que le cerveau avait traité la sensation de contact et son contexte…
Mais cette vision est en train de changer. Les scientifiques s’intéressent enfin au toucher affectif, émotionnel, et ils découvrent que cette capacité repose sur un système de fibres nerveuses spécialisées dans la perception des caresses. Ces neurones, sollicités initialement dans le rapport entre mère et enfant, aident ce dernier à construire son identité et ses relations aux autres, en lui transmettant des données de nature affective. « Le toucher affectif est une nouvelle façon de comprendre le développement du cerveau social normal », précise Francis McGlone, de l’université John Moores de Liverpool, un des spécialistes du domaine. « La qualité émotionnelle de la caresse véhicule un sentiment très important qui sous-tend de nombreuses interactions sociales. »
Le corps tactile, un réseau de fibres faites pour le toucher
Quand nous touchons quelque chose ou quelqu’un, les fibres nerveuses de notre peau entrent en action grâce à des récepteurs sensoriel…